Comprendre la dépendance en tenant compte des traumatismes
Comprendre la dépendance à travers une approche informée par les traumatismes permet de voir les comportements addictifs comme des mécanismes d’adaptation face à des douleurs émotionnelles profondes et des traumatismes non résolus, plutôt que comme un simple manque de volonté.
La dépendance est une maladie complexe et souvent mal comprise. Lorsque nous entendons le mot « dépendance », de nombreux stéréotypes, images, mythes et idées fausses nous viennent souvent à l’esprit.
En adoptant un point de vue tenant compte des traumatismes, nous pouvons mieux comprendre comment les traumatismes et le stress chronique peuvent conduire à des comportements de dépendance. La dépendance n’est pas seulement l’incapacité d’une personne à contrôler son comportement, elle est souvent le résultat d’une profonde douleur émotionnelle, d’un traumatisme non traité ou de facteurs de stress importants dans la vie.
Bien qu’il ne s’agisse pas de la forme d’adaptation la plus saine ou la plus utile, les dépendances sont souvent des tentatives d’adaptation aux difficultés de la vie.
Les comportements de dépendance peuvent être considérés comme des mécanismes d’adaptation qui apportent un soulagement initial et temporaire, mais qui, avec le temps, entraînent souvent des conséquences néfastes qui détériorent la qualité de vie et créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.
Qu’est-ce que la dépendance?
La dépendance peut être définie comme un trouble chronique caractérisé par un engagement répétitif et compulsif dans des stimuli gratifiants, en dépit des conséquences négatives. Le modèle biopsychosocial de la dépendance reconnaît que les dépendances sont des expériences complexes influencées par une combinaison de facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels (Engel, 1978). Il n’y a pas de cause unique à la dépendance, et de nombreux facteurs tels que la chimie du cerveau, la génétique, la santé physique, la santé mentale, les mécanismes d’adaptation, les traits de personnalité, l’environnement social, le statut socioéconomique et la culture jouent tous un rôle.
La dépendance se manifeste généralement sous deux formes principales :
1. Trouble lié à l’utilisation d’une substance (dépendance à une substance)
Les troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives désignent l’utilisation compulsive d’alcool, de drogues ou d’autres substances susceptibles d’altérer l’humeur, la pensée ou le comportement d’une personne. Les substances couramment impliquées dans la dépendance sont l’alcool, le cannabis, la nicotine, les opioïdes, la cocaïne et les médicaments délivrés sur ordonnance. Au fil du temps, la consommation répétée de ces substances peut modifier la chimie du cerveau, ce qui rend difficile l’arrêt de la consommation sans l’intervention et le soutien d’un professionnel.
2. Dépendance comportementale (dépendance à un comportement)
La dépendance comportementale, également connue sous le nom de dépendance de processus, implique un engagement compulsif dans certaines activités, telles que les jeux d’argent, les jeux de hasard, l’alimentation, l’utilisation de l’Internet, les comportements sexuels ou les achats. Bien qu’aucune substance ne soit impliquée, le comportement de dépendance stimule le système de récompense du cerveau de la même manière, renforçant l’envie de répéter le comportement de manière compulsive malgré les résultats négatifs. Au fil du temps, les dépendances comportementales peuvent elles aussi modifier les circuits neuronaux du cerveau, ce qui fait qu’il est difficile d’y mettre fin sans intervention.
Continuum d’utilisation
Les comportements de dépendance se manifestent le long d’un spectre, communément appelé continuum de consommation, allant de l’absence totale de consommation à un trouble de la consommation de substances pouvant être diagnostiqué et entraînant des déficiences importantes. Certaines personnes n’ont aucune dépendance de substance ou comportementale, d’autres ne consomment que les médicaments prescrits, d’autres encore peuvent consommer des substances ou avoir des comportements de dépendance à des fins récréatives, d’autres ont une consommation problématique et d’autres enfin ont des comportements de dépendance très nocifs. Trouver sa place sur le continuum d’utilisation peut constituer un moyen utile de déterminer le niveau d’intervention nécessaire. Par exemple, si vous avez une utilisation problématique, vous pourriez être en mesure de réduire votre consommation en bénéficiant d’un soutien individuel et communautaire (thérapie, AA, groupes de thérapie 12 étapes, programme SMART Recovery, soutien par les pairs, soutien familial formel ou informel). Cependant, si votre consommation est importante, si elle peut être diagnostiquée ou si la substance ou le comportement que vous adoptez entraîne une forte dépendance, vous pouvez avoir besoin d’une intervention plus structurée (traitement en établissement pour toxicomanie).
Traumatisme et dépendance : Comprendre le lien
D’un point de vue tenant compte des traumatismes , la dépendance est souvent une réponse à un traumatisme passé ou présent. Les traumatismes peuvent inclure des expériences telles que :
Négligence ou abus dans l’enfance (émotionnel, physique ou sexuel)
Violence familiale ou violence entre partenaires intimes
Perte d’un être cher ou deuil important
Discrimination, racisme ou oppression systémiques
Catastrophe naturelle ou guerre
Témoin ou victime d’une blessure grave ou d’une menace de blessure grave ou de décès, réelle ou potentielle
Témoin ou victime d’une violence sexuelle réelle ou d’une menace de violence sexuelle
Traumatismes liés au stress opérationnel (difficultés psychologiques persistantes résultant de tâches opérationnelles dans le cadre d’un rôle lié au service, comme la lutte contre les incendies, le travail correctionnel, les services paramédicaux, le service militaire, les soins infirmiers, la répartition des urgences ou le maintien de l’ordre).
Lorsqu’une personne est confrontée à un traumatisme, elle peut consommer des substances ou adopter des comportements de dépendance afin d’anesthésier la douleur émotionnelle, ou d’éviter les souvenirs ou les sentiments accablants. Pour de nombreuses personnes, la dépendance est une stratégie temporaire d’évasion ou d’automédication, mais avec le temps, elle peut se transformer en un cycle de dépendance physique et psychologique.
Les traumatismes peuvent également affecter la capacité du cerveau à réguler le stress et les réactions émotionnelles, ce qui peut rendre plus difficile la lutte contre la dépendance si le traumatisme sous-jacent n’est pas pris en compte. C’est pourquoi un traitement de la toxicomanie qui ne tient pas compte des traumatismes peut ne pas s’attaquer aux causes profondes de la dépendance à une substance ou à un comportement.
Stratégies d’adaptation pour gérer la dépendance
La prise en charge de la dépendance nécessite une approche à multiples facettes. Voici quelques stratégies tenant compte des traumatismes qui peuvent aider les gens à traiter à la fois la dépendance et les traumatismes qui peuvent la sous-tendre :
Réduire les dommages
La réduction des dommages fait généralement référence à des pratiques intentionnelles visant à réduire les conséquences négatives associées aux comportements de dépendance sans nécessairement réduire ou arrêter le comportement de dépendance lui-même.
Les stratégies de réduction des dommages liés à la consommation de substances peuvent inclure des trousses de dépistage de drogues, de la naloxone, des timbres à la nicotine, la consommation de substances dans un environnement sûr ou supervisé avec des personnes de confiance, des sites d’injection sécuritaires et des services d’élimination des aiguilles.
En ce qui concerne l’alcool, les stratégies de réduction des dommages consistent à ne pas boire l’estomac vide, à boire un verre d’eau entre chaque verre d’alcool, à boire lentement par petites gorgées, à mesurer et à compter les verres, à organiser un transport sécuritaire, à programmer des journées sans alcool, à limiter la quantité d’alcool à la maison et à éviter de boire tout en prenant des médicaments ou d’autres substances.
Les stratégies de réduction des dommages liés au cannabis comprennent l’utilisation de versions moins nocives (comme les produits comestibles du cannabis ou l’huile plutôt que la fumée ou le vapotage), l’évitement des inhalations profondes ou de la rétention de la fumée dans les poumons, le choix de produits moins puissants, l’organisation d’un transport sécuritaire, la connaissance de sa source (marché réglementé ou non), la connaissance des antécédents familiaux (par exemple de psychose, de bipolarité ou de schizophrénie) ou la limitation de la consommation à certaines heures de la journée ou à certains jours de la semaine.
S’engager dans une thérapie fondée sur les traumatismes
Le soutien thérapeutique est souvent crucial pour découvrir et traiter les douleurs psychologiques sous-jacentes qui peuvent contribuer à une dépendance. La thérapie fondée sur les traumatismes consiste à comprendre l’impact des traumatismes sur la santé mentale et émotionnelle d’une personne et à créer un espace sûr où la personne se sent soutenue plutôt que jugée. Parmi les thérapies les plus efficaces, citons :
Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) : Aide les personnes à identifier, à vérifier et à modifier les pensées inutiles ou déformées et à changer leurs actions afin d’améliorer leurs symptômes et de modifier leur état d’esprit.
Thérapie de traitement cognitif (TTC) : Aide les personnes à identifier et à remettre en question les croyances négatives liées au traumatisme afin d’améliorer les symptômes et la capacité d’adaptation.
Thérapie comportementale dialectique (TCD) : Aide les personnes à gérer leurs émotions fortes, à faire face aux situations difficiles de la vie et à améliorer leurs relations en leur enseignant des compétences en matière de pleine conscience, de tolérance à la détresse, de régulation des émotions et d’efficacité interpersonnelle.
Thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) : Aide les personnes à (re)construire une vie pleine de sens et d’épanouissement en développant la flexibilité psychologique – la capacité d’être présent, d’accepter davantage les expériences intérieures difficiles et d’agir en accord avec ses valeurs fondamentales.
Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR) : Technique utilisant la stimulation bilatérale (mouvements oculaires, tapotements ou sons) pour aider les personnes à traiter un traumatisme ou d’autres expériences pénibles et à en guérir.
Conseil clé : Recherchez des thérapeutes qui sont formés à la fois à la toxicomanie et aux traumatismes afin de vous assurer un soutien holistique.
Créer un réseau de soutien
La guérison d’une dépendance ou d’un traumatisme se fait rarement en solitaire. La mise en place d’un réseau de soutien peut fournir des ressources significatives pour le rétablissement. Voici quelques exemples :
Groupes de soutien : Des groupes tels que les Alcooliques Anonymes (AA), Marijuana Anonymes (MA), Narcotiques Anonymes (NA) ou SMART Recovery offrent un soutien par les pairs aux personnes en cours de rétablissement. Ces groupes offrent souvent un espace sûr où les personnes peuvent partager leurs expériences et recevoir des encouragements de la part d’autres personnes confrontées à des défis similaires.
Soutien par les pairs : Il peut être extrêmement utile d’entrer en contact avec quelqu’un qui a réussi à surmonter une dépendance et à se rétablir. Un mentor peut fournir des conseils, un soutien et un sentiment d’espoir. Le simple fait de s’ouvrir à une personne sûre et de confiance peut s’avérer extrêmement utile pour alléger sa charge émotionnelle, recevoir du soutien, élaborer des plans d’action et renforcer ses relations.
Soutien familial formel : La thérapie familiale et l’éducation peuvent aider les proches à comprendre la dépendance et à soutenir la personne en cours de rétablissement.
Conseil clé : Soyez patient avec vous-même et avec les autres. Instaurer la confiance et la sécurité dans les relations peut prendre du temps, surtout lorsqu’il s’agit de guérir d’un traumatisme ou d’une dépendance.
Pratiquer la pleine conscience et l’autocompassion
Les pratiques de pleine conscience, telles que la méditation, les exercices de respiration profonde, le yoga et la présence mentale dans les activités quotidiennes peuvent être efficaces dans la gestion de la dépendance. La pleine conscience aide à rester ancré dans le moment présent et à remarquer ce qui se passe avec ouverture et curiosité. Ces pratiques apprennent aux personnes à réguler leurs émotions et leurs pensées, à détecter les envies, à réduire le stress et à tolérer l’inconfort sans avoir recours à des comportements de dépendance.
L’autocompassion est également essentielle au rétablissement. Les personnes souffrant de dépendance éprouvent souvent des sentiments de honte et de culpabilité, ce qui peut exacerber l’autocritique et le cycle des comportements autodestructeurs. En pratiquant la bienveillance envers soi-même et en reconnaissant ses difficultés avec curiosité plutôt qu’avec un jugement sévère, il est possible de commencer à guérir à la fois d’un traumatisme et d’une dépendance.
Conseil clé : Commencez par de petites pratiques de pleine conscience. Même quelques minutes de respiration profonde peuvent aider à réduire les fringales et la détresse émotionnelle.
Accéder à un traitement en établissement ou à un traitement ambulatoire intensif si nécessaire
En fonction de la gravité ou de la complexité de la dépendance et de la dépendance à la substance ou au comportement, un traitement en établissement (ou hospitalier) peut être recommandé. L’avantage d’un traitement en établissement est que l’accès à la substance ou au comportement de dépendance est limité ou restreint et que le traitement est intensif, ce qui permet de se concentrer sur le rétablissement et d’acquérir plus rapidement des outils et des compétences. Les programmes intensifs ambulatoires représentent une autre option qui permet d’acquérir rapidement des outils et des compétences et de se concentrer sur son rétablissement. Ces programmes ont généralement lieu moins de jours par semaine et il n’est pas nécessaire de séjourner au centre de traitement. Il est important de noter qu’il existe des programmes résidentiels et ambulatoires qui traitent simultanément les traumatismes et la dépendance afin de résoudre plus efficacement la cause profonde du comportement de dépendance.
Autres points à prendre en considération
Troubles concomitants : De nombreuses personnes qui luttent contre la toxicomanie souffrent également d’autres troubles mentaux, tels que la dépression, l’anxiété ou le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Une approche fondée sur les traumatismes reconnaît l’interconnexion de ces problèmes et fournit un traitement intégré qui répond simultanément aux besoins en matière de toxicomanie et de santé mentale.
Thérapie assistée par des médicaments : Dans certains cas, les médicaments peuvent constituer un élément essentiel de la guérison de la dépendance. Les thérapies assistées par des médicaments, comme la méthadone pour les troubles liés à l’utilisation d’opioïdes ou la naltrexone pour les troubles liés à l’utilisation d’alcool, peuvent aider les individus à gérer les envies et les symptômes de sevrage. Ce traitement doit être accompagné d’une thérapie et d’un soutien émotionnel pour traiter les problèmes sous-jacents. Parlez des thérapies assistées par des médicaments à un prestataire de soins de santé réglementé, comme une infirmière praticienne, un médecin de famille ou un psychiatre.
La rechute fait partie du rétablissement : La rechute est fréquente dans le cadre du rétablissement d’une dépendance, et il est important de la considérer comme faisant partie du processus plutôt que comme un échec. Une approche tenant compte des traumatismes aide les individus à comprendre que la rechute peut être due à une douleur émotionnelle non traitée, et fournit des stratégies pour se remettre sur la bonne voie sans avoir honte.
Ressources pour le soutien aux toxicomanes en Ontario
ConnexOntario
ConnexOntario est un service gratuit et confidentiel qui fournit des renseignements et des références aux personnes qui cherchent de l’aide en matière de toxicomanie, de santé mentale et de jeu compulsif. Il offre une ligne d’assistance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ainsi qu’un répertoire de ressources, et peut vous mettre en contact avec des prestataires de traitement dans tout l’Ontario.
Téléphone : 1-866-531-2600
Site web : ConnexOntario
Centre ontarien de traitement des toxicomanies (OATC)
L’OATC offre des services complets de traitement des dépendances, y compris des services de consultation externe, des programmes de désintoxication et des programmes de traitement en établissement. Il adopte une approche holistique du traitement de la toxicomanie, fondée sur les traumatismes.
Téléphone : 1-888-977-9770
Site web : OATC
Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS)
Le CCDUS fournit des ressources et des recherches précieuses sur la consommation de substances et la toxicomanie au Canada. Il fournit des renseignements sur les meilleures pratiques en matière de traitement, de prévention et de réduction des dommages.
Site web : CCDUS
La dépendance est une condition à plusieurs facettes qui découle souvent d’un traumatisme ou d’une douleur émotionnelle. En abordant la dépendance sous l’angle des traumatismes, nous pouvons apporter un soutien plus significatif afin de favoriser plus efficacement le rétablissement.
Le rétablissement est possible, mais il faut s’attaquer à la fois aux symptômes de la dépendance et à ses causes sous-jacentes. Que vous cherchiez de l’aide pour vous-même ou pour un être cher, rappelez-vous que la guérison est un cheminement et qu’il existe de nombreuses ressources pour vous guider tout au long du parcours.
Références
Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). (2014). « SAMHSA's Concept of Trauma and Guidance for a Trauma-Informed Approach » [Concept de traumatisme de SAMHSA et directives pour une approche tenant compte des traumatismes]. Extrait de www.samhsa.gov
National Institute on Drug Abuse (NIDA). (2021). « Understanding Drug Use and Addiction: A Guide for Parents » [Comprendre la consommation de drogues et la dépendance : Un guide pour les parents]. Extrait de www.drugabuse.gov
American Psychological Association (APA). (2017). « The Link Between Trauma and Addiction » [Le lien entre le traumatisme et la dépendance]. Extrait de www.apa.org
Engel GL. (21 juin 1978). « The biopsychosocial model and the education of health professionals » [Le modèle biopsychosocial et la formation des professionnels de la santé. Ann N Y Acad Sci.;310:169-87. doi : 10.1111/j.1749-6632.1978.tb22070.x. PMID : 290321.
Partnership to End Addiction. (6 janvier 2025). « Harm reduction strategies for alcohol » [Stratégies de réduction des risques liés à l’alcool]. https://drugfree.org/article/harm-reduction-strategies-for-alcohol/
Centre for Innovation in Campus Mental Health. (16 avril 2025). « Understanding substance use » [Comprendre la consommation de substances]. https://campusmentalhealth.ca/toolkits/cannabis/cannabis-substance-use/understanding/
Harm Reduction International (21 janvier 2025). « What is harm reduction? » [Qu’est-ce que la réduction des dommages?] https://hri.global/what-is-harm-reduction/