Comprendre les traumatismes
Le personnel de sécurité publique est régulièrement confronté à des traumatismes qui peuvent perturber le traitement émotionnel et l'identité, ce qui rend les techniques d'ancrage, le soutien émotionnel et la restauration intentionnelle essentiels au rétablissement et à la résilience.
Les membres du personnel de sécurité publique (« les PSP »), comme les policiers, les ambulanciers, les pompiers, les agents correctionnels et les répartiteurs d’urgence, sont souvent confrontés à des incidents traumatisants dans le cadre de leurs fonctions quotidiennes. Un traumatisme survient lorsque la capacité d’un individu à répondre au stress ou à la douleur est dépassée par un événement inéluctablement stressant, souvent dû à des événements qui impliquent un profond sentiment d’impuissance, de désarroi ou d’abandon. Il s’agit de la blessure émotionnelle et psychologique laissée par un événement. Deux personnes peuvent vivre le même événement, mais avoir deux réactions différentes en fonction de leur stress, de leur système de soutien, et de facteurs individuels et systémiques à ce moment-là. L’exposition à des événements traumatisants peut conduire à une déconnexion du moi authentique et à la suppression d’émotions pour se protéger de la douleur de l’événement et d’une détresse émotionnelle supplémentaire. Cela peut se manifester par un sentiment d’engourdissement, un retrait émotionnel, une réactivité émotionnelle ou des comportements compulsifs visant à composer avec l’inconfort.
L’exposition à un traumatisme peut se produire lorsque l’on est témoin d’une blessure grave, d’un décès, de violence sexuelle ou de la souffrance d’autrui (ou qu’on subit un tel événement), et les effets psychologiques peuvent s’accumuler au fil du temps. Les effets de l’exposition à des traumatismes répétés peuvent aller de l’engourdissement émotionnel et de l’irritabilité à des troubles plus graves comme le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Il n’est pas nécessaire d’être présent et témoin direct d’un événement traumatisant pour qu’il contribue au stress post-traumatique. Il est possible que le fait d’entendre parler d’événements traumatisants, de lire des détails ou de regarder des séquences vidéo de l’événement puisse avoir des effets néfastes sur notre santé et notre bien-être.
Comment le cerveau traite les souvenirs traumatiques
Le système de mémoire du cerveau
Normalement, lorsque nous vivons une expérience, le cerveau traite l’événement et l’entrepose dans une partie du cerveau appelée hippocampe. Cela nous aide à nous souvenir de l’événement de manière à pouvoir le replacer dans son contexte. Par exemple, quand et où il s’est produit, et ce qui se passait à ce moment-là.
Lorsqu’une personne subit un traumatisme, son cerveau réagit différemment. L’amygdale, qui est responsable du traitement des émotions telles que la peur, devient très active. Cela déclenche une forte réponse émotionnelle et le cerveau se concentre sur les sensations intenses de l’événement plutôt que sur le contexte global. L’hippocampe peut ne pas stocker correctement tous les détails de l’événement de manière organisée, ce qui rend le souvenir fragmentaire ou incomplet.
Le rôle de l’amygdale
L’amygdale envoie un signal qui fait que le corps se sent « à cran » ou en état d’hyperalerte, même longtemps après l’événement traumatique. La personne peut alors avoir l’impression d’être toujours en danger, même si elle est en sécurité.
Comment les souvenirs traumatiques sont-ils stockés?
Au lieu de stocker l’expérience traumatique comme un souvenir normal, le cerveau peut la stocker sous forme d’éléments sensoriels isolés. Il peut s’agir d’images, de sons, d’odeurs ou de sensations physiques qui ont été bouleversants pendant le traumatisme. Par exemple, une personne peut se souvenir du bruit d’une sirène ou d’une odeur particulière, mais pas de l’ensemble de l’événement.
Lorsqu’un traumatisme se produit, le cerveau réagit au stress et donne la priorité à la survie plutôt qu’au traitement des souvenirs de manière calme et organisée. Le souvenir est alors stocké de telle sorte que la personne revit les émotions ou les sensations du traumatisme comme s’il se reproduisait, lorsque le souvenir refait surface. Cela peut également entraîner des rappels d’images (flashbacks) ou des cauchemars.
Les personnes qui revivent des souvenirs traumatisants peuvent sembler « bloquées » dans le traumatisme. Elles peuvent avoir des difficultés à parler de l’événement ou le revivre sans cesse dans leur esprit. Cela est dû au fait que le cerveau n’a pas stocké correctement le souvenir et qu’il le traite à travers des déclencheurs émotionnels et sensoriels, ce qui lui donne l’impression d’être très réel, même longtemps après la fin de l’événement.
Déconnexion fonctionnelle et rétablissement
Un concept important à comprendre dans le contexte du traumatisme est la déconnexion fonctionnelle. Il s’agit du détachement psychologique et émotionnel qui se produit lorsqu’un individu est submergé par le stress ou un traumatisme. Pour le personnel de la sécurité publique, cela peut se manifester par un effondrement du fonctionnement émotionnel ou cognitif – comme le fait de se sentir déconnecté de soi-même, des autres et de son environnement, de manquer d’engagement dans les activités quotidiennes ou d’avoir du mal à se concentrer et à prendre des décisions.
La déconnexion fonctionnelle est un mécanisme de protection; elle aide les individus à faire face à des expériences accablantes à court terme. Cependant, lorsqu’elle persiste ou devient chronique, elle peut avoir des conséquences négatives sur les relations, le rendement professionnel et la santé mentale.
La restauration est le processus par lequel les individus se reconnectent à eux-mêmes, aux autres et à leur environnement après avoir subi une déconnexion fonctionnelle. La restauration implique la guérison par le traitement émotionnel, la pleine conscience, le soutien social et les pratiques d’autosoins. Dans le contexte du personnel de la sécurité publique, la restauration peut nécessiter des efforts intentionnels pour se remettre d’un traumatisme et réintégrer le travail et la vie personnelle de manière équilibrée.
Après avoir été exposé à un événement traumatisant, il est essentiel de s’engager dans des stratégies d’ancrage ou de décompression pour aider à retrouver un état d’équilibre émotionnel. Ces stratégies peuvent contribuer à atténuer les effets du traumatisme et à gérer les réactions immédiates au stress. Voici quelques techniques efficaces d’ancrage et de décompression à envisager :
1. Techniques d’ancrage physique
Les techniques d’ancrage physique consistent à se reconnecter au corps pour détourner l’attention du traumatisme. Ces stratégies peuvent aider à réduire le sentiment d’accablement et à reprendre le contrôle. Essayez les techniques suivantes :
Technique 5-4-3-2-1 : Il s’agit d’un exercice d’ancrage populaire qui vous aide à vous concentrer sur le moment présent. Vous devez identifier :
5 choses que vous pouvez voir autour de vous.
4 choses que vous pouvez sentir (par exemple, le sol sous vos pieds, vos mains, etc.).
3 choses que vous pouvez entendre (sons dans votre environnement).
2 choses que vous pouvez sentir (même si l’odeur est faible ou imaginaire).
1 chose que vous pouvez goûter (ou imaginer goûter).
Cet exercice permet de s’ancrer dans l’ici et le maintenant.
Relaxation musculaire progressive : Cette méthode consiste à contracter puis à relâcher systématiquement différents groupes de muscles afin de relâcher la tension physique. En se concentrant sur la sensation physique de relaxation, la relaxation musculaire progressive peut vous aider à rester ancré et calme après un événement stressant.
2. Techniques de respiration
La respiration en pleine conscience peut activer le système nerveux parasympathique, qui aide à contrer la réaction de lutte ou de fuite déclenchée par l’exposition à un traumatisme. Essayez ces techniques de respiration :
Respiration en carré : Inspirez pendant quatre secondes, maintenez la respiration pendant quatre secondes, expirez pendant quatre secondes et attendez quatre secondes avant de recommencer. Répétez ce cycle pendant plusieurs minutes pour rétablir l’équilibre.
Respiration diaphragmatique : Concentrez-vous sur la respiration profonde de votre diaphragme (respiration ventrale). Inspirez lentement en comptant jusqu’à quatre, retenez votre souffle pendant quatre secondes, puis expirez pendant six secondes. Cette technique permet de calmer le corps et de réguler la réponse émotionnelle au stress.
3. Lien social et soutien par les pairs
Après avoir été exposé à un traumatisme, le fait de parler à un pair ou à un collègue qui comprend votre expérience peut être profondément réparateur. Le soutien des pairs est essentiel pour réduire le sentiment d’isolement et peut aider à traiter la charge émotionnelle des incidents traumatisants. Le débreffage avec d’autres personnes qui ont été témoins d’événements similaires permet une libération émotionnelle partagée et un soutien mutuel, ce qui peut contribuer au processus de rétablissement.
Programmes de soutien par les pairs : De nombreuses agences de PSP proposent des programmes formels de soutien par les pairs, dans le cadre desquels des pairs formés apportent un soutien émotionnel et de santé mentale après un événement traumatisant. Il existe d’autres services de soutien par les pairs pour les PSP auxquels vous pouvez accéder de manière anonyme, tels que « Boots on the Ground ».
Conversations informelles : Parfois, le simple fait de parler à un collègue ou à un ami de confiance peut suffire à vous décharger d’une partie du poids émotionnel. Prenez l’habitude de prendre régulièrement des nouvelles des uns et des autres.
4. Temps dans la nature
Des recherches ont montré que passer du temps dans la nature peut contribuer à réduire le stress et à favoriser le rétablissement mental. Qu’il s’agisse de se promener dans un parc, de faire une randonnée dans les bois ou de simplement s’asseoir au bord d’un lac, les environnements naturels ont un effet calmant qui peut aider à reconstituer les réserves émotionnelles.
5. Participation à des activités réparatrices
Après un événement traumatisant, il est essentiel de s’engager dans des activités qui permettent de se ressourcer mentalement et émotionnellement. Des activités telles que l’expression créative (art, musique, écriture), l’exercice physique ou le temps passé avec des proches peuvent aider à « réinitialiser » votre état émotionnel et faciliter la guérison. Les activités réparatrices offrent une distraction saine et temporaire du traumatisme, laissant à l’esprit et au corps le temps de se rétablir.
Ressources pour le personnel de sécurité publique en Ontario
Si vous êtes aux prises avec les effets de l’exposition à un traumatisme, il existe des ressources disponibles en Ontario. Voici quelques points de départ :
Association des psychologues de l’Ontario (OPA) : Offre une liste de psychologues agréés qui se spécialisent dans les traumatismes.
Association ontarienne des professionnels de la santé mentale (OAMHP) : Fournit des ressources pour le soutien de la santé mentale adaptées au personnel de la sécurité publique.
Sécurité publique Canada – Soins tenant compte des traumatismes : Fournit une gamme de ressources sur le rétablissement à la suite d’un traumatisme et les stratégies de soins spécifiquement pour les travailleurs de la sécurité publique.
Soutien social aux blessés de stress opérationnel (SSBSO) : Il s’agit d’un programme de soutien par les pairs spécialement conçu pour les membres des Forces armées canadiennes et les PSP, qui offre un soutien émotionnel et de santé mentale.
Références :
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