Le prix de l’altruisme : L’épuisement professionnel du personnel de la sécurité publique
L'épuisement professionnel chez les agents de la sécurité publique, comme Mike, est une crise croissante marquée par une fatigue émotionnelle, un détachement et une perte de sens, causés par le stress chronique, le sous-effectif et la charge émotionnelle du métier.
« Pour la troisième fois cette semaine, Mike, un agent correctionnel, est assis dans sa voiture devant l’établissement où il travail, fixant l’entrée avec un sentiment croissant d’effroi. Son corps souffre d’une nouvelle double journée de travail et son estomac se retourne à l’idée de retourner dans le bruit, la tension et l’hypervigilance constante. Avant, il était fier de son rôle – assurer la sécurité des gens, contribuer à un changement positif – mais aujourd’hui, il a du mal à ressentir quoi que ce soit. Il a du mal à dormir la nuit, se sent plus irritable et ne se souvient plus de la dernière fois où il a ri au travail. Il se dit qu’il faut tenir bon, mais au fond de lui, une voix discrète lui demande : Combien de temps encore vais-je pouvoir faire cela? »
Une étude réalisée en 2023 auprès de 1 101 membres du personnel de la sécurité publique (« les PSP ») a révélé que 40 % d’entre eux étaient victimes d’épuisement professionnel dans le cadre de leur travail. Qu’est-ce que l’épuisement professionnel et pourquoi est-il si répandu parmi les personnes travaillant dans le service public?
Définition de l’épuisement professionnel
L’épuisement professionnel est une réaction grave à un stress permanent et non géré au travail. Il ne s’agit pas seulement d’un sentiment de fatigue, mais aussi d’un épuisement émotionnel, d’un détachement ou d’un cynisme à l’égard de son travail, et d’un sentiment que son travail n’a pas vraiment d’incidence. L’épuisement professionnel n’est pas un signe de paresse ou de faiblesse. Il peut amener même les professionnels les plus engagés à se sentir désespérés, à lutter pour répondre aux exigences quotidiennes et à remettre en question la valeur de ce qu’ils font. Il existe trois signes principaux d’épuisement professionnel : l’épuisement, le sentiment d’une efficacité réduite et la dépersonnalisation. La dépersonnalisation se traduit par un sentiment de déconnexion par rapport à soi-même, à son entourage ou à l’environnement dans lequel on travaille. L’épuisement professionnel n’affecte pas seulement les individus, il peut également nuire aux équipes et aux organisations, entraînant une augmentation des congés de maladie, une hausse du taux de rotation du personnel, une baisse du rendement au travail, une mauvaise prise de décision et un risque accru d’erreurs ou d’accidents.
« On ne peut pas verser de l’eau d’une tasse vide. »
À quoi ressemble l’épuisement professionnel et comment se sent-on quand on en souffre?
Les jours de congé ne sont pas reposants : Vous attendez avec impatience vos congés, mais ils ne vous ressourcent pas. Vous vous sentez toujours épuisé ou anxieux, même après une journée complète de « repos ».
La gentillesse se transforme en irritabilité : Vous vous sentez plus facilement brusque, impatient ou fermé émotionnellement, même à l’égard des personnes qui vous sont chères.
Vous commencez à vous demander si votre travail est important : Le sentiment d’utilité qui vous motivait autrefois commence à s’estomper. Vous vous sentez détaché ou cynique quant à la valeur de ce que vous faites.
Votre corps reste tendu même au repos : Le stress peut se loger dans les épaules, l’estomac ou la mâchoire. Vous vous sentez constamment « à cran », même dans les moments de calme.
Vous vous sentez émotionnellement engourdi : Particulièrement fréquent chez les PSP, le détachement émotionnel devient une stratégie d’adaptation. Vous faites ce que vous avez à faire, mais vous vous sentez déconnecté à l’intérieur.
Le sommeil n’apporte pas de soulagement : Malgré un nombre d’heures de sommeil suffisant, vous vous réveillez toujours fatigué ou « embrouillé ». Vous redoutez la journée qui s’annonce avant même qu’elle ne commence.
Vous commencez à vous retirer des autres : Les relations sociales vous demendent un effort. Vous évitez les conversations approfondies, vous annulez des projets ou vous vous isolez plus que d’habitude.
Les signes et les symptômes de l’épuisement professionnel n’apparaissent pas d’un seul coup; ils s’installent progressivement. Beaucoup de ces signes peuvent imiter l’anxiété ou la dépression, ce qui les rend difficiles à repérer. Pris ensemble, ils indiquent que vos ressources mentales et émotionnelles s’épuisent et que quelque chose doit changer.
Pourquoi l’épuisement professionnel se produit-il dans la sécurité publique?
L’épuisement professionnel dans les domaines de la sécurité publique, comme les soins de santé, le milieu carcéral, le travail social et les interventions d’urgence, découle souvent des pressions émotionnelles et structurelles intenses qui sont intégrées à ces professions. La récente pandémie de COVID-19 a considérablement intensifié cette pression, les travailleurs de première ligne étant confrontés à une augmentation de la demande, à des ressources insuffisantes et à des risques pour leur santé personnelle. En plus de la pandémie, les troubles politiques et civils et les défis économiques n’ont fait qu’amoindrir ces effectifs. De nombreux professionnels de la sécurité publique déclarent faire le travail de deux personnes ou plus en raison d’un manque chronique de personnel. Il en résulte une charge de travail insoutenable associée à un temps de récupération limité, créant la recette parfaite pour l’épuisement, le désengagement et l’effondrement émotionnel.
Cependant, ce qui rend l’épuisement professionnel particulièrement complexe dans le domaine de la sécurité publique, ce n’est pas seulement le volume de travail, c’est aussi le travail émotionnel et la responsabilité morale de l’emploi. On attend des professionnels qu’ils fassent preuve d’empathie, qu’ils absorbent les traumatismes de ceux qu’ils servent et qu’ils gardent leur sang-froid sous la pression. Au fil du temps, ce travail émotionnel et psychologique, sans l’espace et les ressources nécessaires pour se ressourcer, peut conduire à un traumatisme indirect et à un sentiment de détachement. Nombreuses sont les personnes qui font également l’expérience de la détresse morale : la douleur de vouloir aider, mais d’être bloqué par des barrières systémiques. Une culture du « constant don de soi » et de la « force inébranlable » renforce l’idée que demander de l’aide ou poser des limites dénote une faiblesse. Cela conduit à ce que certains appellent la « résilience toxique », un état d’esprit dans lequel les travailleurs sont fiers d’endurer des conditions difficiles, plutôt que de les remettre en question. Dans cet environnement, l’épuisement professionnel n’est pas seulement probable, il est presque inévitable en l’absence d’un soutien significatif et d’un changement systémique.
Quatre conseils pratiques pour faire face à l’épuisement professionnel
Si vous ressentez les effets de l’épuisement professionnel, vous n’êtes pas seul. Reconnaître les signes représente la première étape pour protéger votre bien-être et garantir une carrière durable dans la sécurité publique. Voici quatre mesures concrètes que vous pouvez prendre pour lutter contre l’épuisement professionnel :
1. Reconnaissez-le sans honte
Reconnaissez que vous êtes épuisé, et non pas faible ou incompétent. L’épuisement professionnel est une réaction au stress chronique, et non un défaut personnel. Le reconnaître est la première et la plus importante étape vers la guérison.
2. Fixez des limites (même minimes)
Commencez à protéger votre temps et votre énergie. Dites non lorsque vous le pouvez, faites de vraies pauses si possible (même courtes) et prenez des congés significatifs si vous le pouvez (temps passé à vous reposer et à vous ressourcer). De petites limites aident à créer un espace pour la récupération.
3. Parlez à une personne de confiance (et demandez de l’aide à un professionnel)
Ne vous isolez pas. Il est important de chercher du soutien, que ce soit auprès d’un collègue, d’un ami ou d’un professionnel comme un thérapeute ou un conseiller. Parler ouvertement peut soulager le stress et donner un sentiment d’appartenance. Demander l’aide d’un professionnel peut vous donner les outils nécessaires pour gérer plus efficacement l’épuisement professionnel et vous offrir un espace sûr pour exprimer vos sentiments.
4. Se concentrer sur les soins personnels réparateurs
Donnez la priorité à des actions simples et pertinentes qui vous aident à vous ressourcer. Dormez régulièrement, mangez bien, bougez votre corps en douceur et faites chaque jour une chose qui vous apporte du calme ou de la joie. Vous n’avez pas besoin d’une routine parfaite, mais simplement de quelque chose qui vous aide à vous sentir un peu plus connecté.
Plus de ressources :
Prévenir l’épuisement professionnel – Canada.ca / Centre d’expertise pour la santé mentale en milieu de travail – Canada.ca
Références
Bagherian, S. et Hosseini, M. (2019). « Impact of burnout on job performance, absenteeism, and turnover intention in healthcare employees » [Impact de l’épuisement professionnel sur le rendement au travail, l’absentéisme et l’intention de roulement chez les employés du secteur de la santé]. Journal of Healthcare Management, 34(2), 12-20. https://doi.org/10.1097/JHM-D-18-00075
Bethea, L. M., Jones, S. H. et McNabb, B. (2020). « The consequences of burnout in public service sectors: A review of literature on performance and safety » [Les conséquences de l’épuisement professionnel dans les secteurs du service public : une revue de la literature sur le rendement et la sécurité]. Journal of Organizational Behavior, 45(3), 25-39. https://doi.org/10.1002/job.2419
Maslach, C., Schaufeli, W. B., et Leiter, M. P. (2001). « Job burnout » [Épuisement professionnel]. Annual Review of Psychology, 52(1), 397-422. https://doi.org/10.1146/annurev.psych.52.1.397
Moriano, J. A., Rodríguez, M. A. et Schaufeli, W. B. (2021). « The role of emotional labor in burnout: A study among public service professionals » [Le rôle du travail émotionnel dans l’épuisement professionnel : une étude au sein des professionnels des services publiques]. International Journal of Stress Management, 28(1), 15-28. https://doi.org/10.1037/str0000196
Pike, C. R., Jenson, M. W. et Smith, R. (2023). « Burnout among first responders : Prevalence and contributing factors in 2023 » [L’épuisement professionnel chez les premiers répondants : prévalence et facteurs contributifs en 2023]. Public Service Psychology Journal, 21(4), 215-230. https://doi.org/10.1037/psp0000279
Vaes, J. et Muratore, A. (2013). « Subtle dehumanization and burnout in healthcare workers: The role of compassion fatigue and vicarious trauma » [Déshumanisation subtile et épuisement professionnel chez les travailleurs de la santé : Le rôle de l’usure de compassion et du traumatisme vicariant]. Psychology and Health, 28(12), 1398-1411. https://doi.org/10.1080/08870446.2013.811018